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  • : L'Inde autrement
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31 mars 2010 3 31 /03 /mars /2010 12:30

Naissance de "Voyage-Autrement" : part 1

Rémi nous accompagne en Inde cette année-là : 

Kolkata

"Je voulais absolument aller à Calcutta (on dit Kolkata maintenant) suite à ma lecture d'un bouquin de Dan Simmons, le chant de Kâlî. C'est de l'horreur/fantastique et c'est de loin le roman le plus horrible que j'ai jamais lu (pas qui fait peur, vraiment horrible, genre qui te dégoûte de la vie, enfin si tu vis dans le roman). Le bouquin se passe à Calcutta et je voulais me rendre compte par moi-même de l'ambiance de la ville.
On est donc allé au Kâlîghat, le grand temple de Kâlî, dont la ville tire son nom.
A l'entrée du temple, ils sacrifient des chèvres à l'appétit insatiable de Kâlî. C'est du genre, zap je te tranche la tête puis je te débite en morceaux pour te vendre aux passants.
Il a fallu faire une longue queue, tous serrés les uns contre les autres, marchant pieds nus dans la crasse de l'Inde (et le sang des chèvres décapitées).
Tout le monde se bouscule pour recevoir la bénédiction de Kâlî, il faut donc faire continuellement attention de ne pas se faire doubler ni piétiner.
Arrivés à l'intérieur même du temple, la frénésie monte encore d'un cran (pour autant que cela soit possible !) et chacun se rue pour lancer quelques fleurs à Kâlî et recevoir sa bénédiction qui prend la forme d'un point rouge qu'un Brahmane ou son assistant t'applique sur le front entre les 2 yeux.
Quand j'en suis arrivé à ce point, j'ai été entrainé par la foule tout droit vers les 2 yeux immenses et la langue écarlate de la déesse noire.

 représentation de Kali

Je n'avais plus le contrôle de mes mouvements, pris en sandwich entre des indiens au paroxysme de leur excitation.
J'ai été quasiment projeté vers l'avant contre la barrière basse qui protège l'idole en contre-bas.


 

 

Heureusement, le mouvement de foule a reflué vers l'arrière et je me suis retrouvé pantelant quelques mètres en retrait.
Je n'avais même pas reçu le tilak, marque de mon passage au temple, j'ai dû retourner me jeter dans la foule en furie !
A la sortie, naturellement, on te passe gentillement un bracelet en ficelle autour du poignet et on te demande calmement un pourboire pour le bracelet. La demande est réitérée continuellement sur le même ton sans jamais la moindre pointe d'énervement même si tu ne donnes rien et que tu lâches des bordées d'insultes. Il te faut t'éloigner beaucoup avant d'être débarrassé du "généreux" donneur de bracelet."


Nous nous dépêchons de sortir. Encore de jeunes boucs égorgés, d'autres attendent d'être sacrifiés.
On cherche de l'eau pour se laver les pieds. Des fleurs d'hibiscus rouges jonchent le sol, écrasées elles sont mucilagineuses, on ne peut pas les éviter et on a la sensation de patauger dans le sang qui coule partout en rigoles.
J'étais juste derrière Rémi, je l'ai vu soulevé de terre par la foule, projeté vers la représentation de Kâlî. Le bruit, l'odeur, les coups de coude, la chaleur, 96 % d'humidité. Dans cette cohue, je ressens physiquement les besoins de cette foule. L'avidité, l'envie de pouvoir, d'écarter et d'écraser les autres, le désir de s'approprier les pouvoirs de Kâlî pour les utiliser à des fins personnelles.

La folie humaine prend toute sa dimension, tout son sens. J'en frissonne rien que d'y repenser.
— Et on dit que les indiens sont "non-violents".
— C'est pas la 1e fois qu'on vient, tu sais bien que c'est une légende...
— Oui mais là quand même, je suis effarée !
— Toute façon, vu le temps qu'il a passé là-bas, Gandhi était plus sud-africain qu'indien. Alors tu sais, hein, l'Afrique du sud en temps que modèle de non-violence...
Allez, venez, on va chercher des cocos fraîches.
— Gandhi a sûrement fait ce qu'il pouvait, je me demande s'il est possible de guider ne serait-ce qu'un peu les indiens ! no rules... sauf celles que chacun décide individuellemment pour lui perso. Il n'y a pas de sens de communauté, ici, t'as remarqué c'est très bizarre, il y a les castes et leurs limites infranchissables ça donne l'illusion d'un sentiment de groupe mais pas du tout c'est toujours "je", "comment moi je vais être perçu". En Afrique "proud to be Kenyan" est différent de "fier d'être indien", les africains sont fiers de ce beau pays, les indiens sont fiers d'eux en tant qu'individus.

 
Enoch nous entraîne loin de là.
— Il y a une peur de la violence et du contact physique et en même temps une agressivité qui ne demande qu'à sortir.
— Ça me rappelle la kumba mela d'Ujjain, les saddhus qui exigeaient d'être les 1e dans l'eau pour les bains, ils auraient tué tous ceux qui s'avisaient de passer avant eux.
 

sadhus à la kumbah mela d'Ujjain

Enoch et moi reparlons de Mahakal notre guru tantrique et de ses kapalikas devant qui tout le monde s'écartait :
— Tu aurais dû nous voir quand ils nous ont reconduits à la gare à la fin de la kumba mela : nous sortions de leur 4X4 tout neuf, les plastiques encore sur les sièges.
Nous marchions avec nos gros sacs sur le dos -parce qu'un kapalika est à ton service mais quand même, ce n'est pas un coolie- devant nous, deux kapalika, leurs armes à peine cachées sous leurs longs vêtements noirs, et la foule de la gare qui baissait les yeux et leur laissait le passage ! Wwaa trop cool ! C'est comme ça qu'on prend goût au pouvoir !- Mais dans les yeux baissés de ces gens, la même envie de pouvoir qui face aux kapalikas devait s'écraser.

Oui, l'ambiance de Calcutta est bien rendue dans l'effrayant livre de Dan Simmons, nous ne sommes pas déçus !

Nous retournons à Delhi pour prendre l'avion. Pour ceux qui n'ont pas en tête la carte de l'Inde ni d'idée sur la vitesse des trains indiens on traverse l'Inde d'ouest en est, ça fait 1 461 km et 36 h où nous n'avons rien d'autre à faire que dormir, parler, lire.
Nous parlons d'émotions, de comment on ne peut qu'être secoué par ces gens imprégnés de religion.
Nous parlons de notre activité à l'écohameau (Enoch et moi sommes thérapeutes psychocorporels et sexologues). De comment nous pourrions utiliser toutes ces contradictions si criantes en Inde pour créer des expériences pour nos élèves.
Nous en avons assez d'être des psy limités dans leur créativité à des expériences d'une heure voir de 4 jours dans le meilleur des cas. On se sent freiné par les limitations des autres. Il faudrait plus de temps, des situations plus percutantes, auxquelles on ne peut pas échapper.

C'est là, dans ce train, avec tout ce qu'on venait de vivre et tout ce qu'on va se dire par la suite qu'est né "Voyage-Autrement" 

...(la suite dans "Marre d'être limités")...

 

 

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